• ROBESPIERRE

    Robespierre (Maximilien de)

    L'incorruptible

    Robespierre est avocat à Arras.

    Pour se faire élire député en 1789, il écrit un appel à la nation artésienne, dans lequel il attaque les fonctionnaires,

    l'administration centrale, et le fisc.

    Evidemment, une fois élu, il sera parisien, centraliste et inventeur de nouveaux impôts. C'est le début d'une carrière d'incorruptible.

     

    " A la nation artésienne "  (Extraits)

    Les majuscules et la ponctuation ont été conservées, la graphie a été rafraîchie par rapport à l'exemplaire que la BNF a mis à disposition sur internet.

     

     

    Démagogie à usage général :


              " Il est temps d'avertir la Nation Artésienne des pièges funestes dont on l'environne ; il est temps de l'inviter à réfléchir sur les objets qui intéressent le plus essentiellement son bonheur. Nous croyons qu'il n'en est pas de plus important pour elle, que de rappeler les États particuliers de cette Province aux véritables principes de leur Constitution ; & d'adopter de sages mesures, pour parvenir à cette réforme salutaire ; & il nous semble que nous remplirons le devoir d'un bon Citoyen, en développant ici toutes les raisons qui démontrent la nécessité de la poursuivre, avec autant d'activité que de persévérance.

             

     

    « Dédicace » de Robespierre dans un dictionnaire de 1770,

    datée du 3 brumaire an II.

     

     

    Le véritable moyen d'anéantir les abus qui causent les malheurs publics est d'aller droit aux sources principales d'où ils découlent. Or la première source des malheurs d'un Peuple, ce sont les vices de son gouvernement ; aussi l'expérience nous prouvera elle bientôt que l'Artois doit attribuer la plupart des siens aux vices qui ont dénaturé la véritable constitution des États à qui son administration était confiée.

              Commençons par reconnaître ces vices, en les rapprochant des principes fondamentaux de notre droit public.
              Qu'est ce que des États Provinciaux ? C'est l'Assemblée des Représentants de tous les Ordres des Citoyens, chargés de leurs pouvoirs, pour veiller, en leur nom, au maintien de leurs droits, & pour présider à l'administration de la chose publique. "


    Sympathie envers le clergé

             

     

    Il résulte en général de tout ce que nous venons de dire, que les Membres du Clergé qui prennent séance aux États, ne représentent en aucune manière l'Ordre du clergé ! Et de quel droit a-t-on exclu les Curés, et tous les autres Ecclésiastiques, la classe, sans contredit, la plus nombreuse, la plus utile de ce Corps, la plus précieuse par ces rapports touchans, qui l'unissent aux besoins et aux intérêts du Peuple ? (...)

     

    ROBESPIERRE


    Contre les fonctionnaires

              " Qu'est-ce que la Chambre du Tiers-Etat ? Une Assemblée des Députés nommés par les Corps Municipaux des dix Villes de la Province. Mais ceux qui composent ces Corps municipaux, qui les a nommés eux-mêmes ? Sont-ce les habitants des Villes ? Non.

     

    On leur a ravi ce droit sacré de choisir eux-mêmes leurs Officiers, leurs Administrateurs particuliers ; droit aussi ancien que la Monarchie, & qui étoit fondé sur les mœurs et sur la constitution des Gaulois et des Belges nos aïeux ; droit qui, après quelques siècles d'oppression, nous avait été rendu, aussi-tôt que le Peuple eut commencé à fouler un peu le joug de la tyrannie féodale qui l'accablait, comme le signal, le gage & la base de nos libertés : un Edit, un seul Edit dicté par le génie fiscal d'un Ministre abhorré, a suffi pour nous l'enlever. (...)

             

     

    Ainsi donc, ces mêmes Officiers Municipaux, dont le pouvoir est une atteinte continuelle à nos droits, qui n'ont même aucune qualité constitutionnelle & légale pour administrer les Villes, se font de cette usurpation même, un titre pour s'emparer encore de l'administration de la province, à l'exclusion et au mépris de tous les Citoyens, qui tous y sont appelés, & qui seuls peuvent conférer le pouvoir d'y voter !

     

    Eux qui, quand bien même ils seraient choisis par les Habitants des Villes, pour les administrer, n'auroient aucun droit de nous représenter aux Etats Généraux de la Province, puisque leurs pouvoirs seraient circonscrit par l'objet & par la nature même de leur mandat, au régime des Communes qui les auraient élus.(...)

              Citoyens, considérez donc d'abord la distance énorme qui sépare des Etats vraiment nationaux, de ces commissions inconstitutionnelles, qui osent usurper ce nom auguste."

     


    Contre la centralisation

              " N'est-il pas naturel que ces prétendus Administrateurs eux-mêmes, qui connaissent leur faiblesse, aiment mieux sacrifier insensiblement une partie des privilèges de leur Pays, à la crainte de voir anéantir cette autorité, qui est devenue en quelque sorte leur propriété, ou, si l'on veut, au désir d'élever leur fortune particulière sur la ruine de leur Patrie ?

    Oui, n'en doutez pas, c'est par les vices monstrueux de cette constitution dégénérée, que divers Pays d'Etats ont perdu successivement la plus grande partie de leurs privilèges, dès qu'il a plu au Ministère de les attaquer ;

     

    &, sans m'écarter de notre Histoire particulière, ne trouvons nous pas une preuve frappante de cette vérité, dans ce qui s'est passé en 1787, aux Etats d'Artois, lorsque les Ministres d'alors leur proposèrent d'ajouter, à la masse des charges accablantes qui écrasaient nos malheureux Citoyens, un impôt de 300 000 livres ? (...)

              Portez vos regards sur les temps antérieurs ; & voyez avec quelle facilité effrayante vos privilèges ont été sacrifiés successivement, en moins d'un siècle, aux caprices & à l'ambition des Ministres ; par la faiblesse de votre Administration. Songez qu'en 1640, époque de votre réunion à la Couronne de France, les impositions de cette province étaient presque bornées à ce qu'on appelle l'ancienne composition d'Artois ;

     

    que vos Capitulations vous garantirent encore, de la manière la plus solennelle, la conservation de tous vos privilèges, dont l'un des principaux, fondé d'ailleurs sur les maximes essentielles de toute société humaine, consistait dans le droit de ne pouvoir être assujetti à aucune taxe, sans votre consentement exprès ; & voyez la masse épouvantable de vos impositions actuelles ...

     

    Songez à cette dette énorme de huit millions cent vingt et un mille livres, qui pèse sur cette malheureuse province, si peu étendue, & qui trouve si peu de ressource dans l'industrie de ses Habitants ; sans que les exactions les plus révoltantes du Gouvernement aient jamais éprouvé le moindre refus de la part des Administrateurs dociles qui osaient se charger de consentir pour vous à votre propre ruine. "

     


    Robespierre, indépendantiste artésien ?

    " Ce qui étonnera encore plus, c'est que cette Province paie les droits d'entrée et de sortie aux barrières de la Picardie, parce que, suivant le Code de la Ferme, elle est réputée étrangère au Royaume ; tandis qu'on la dépouille des franchises dont nous venons de parler, quoiqu'elles lui soient assurées par le même titre, de manière qu'on la considère comme étrangère, pour lui imposer de nouvelles charges, & qu'on lui ôte cette qualité, pour la priver des droits qui en étaient la conséquence et le dédommagement. "

     

     

     

    Appel adressé à la section des Piques, celle de Robespierre, par le Comité d'exécution de la Commune dans la nuit du 9 thermidor, avec la signature interrompue de Robespierre (Ro…)

    et une tache (de sang ?) au bas de la page. 


    Des complots partout

             Robespierre est élu par la nation artésienne. Mais à Paris, plus question de l'Artois. Il adhère au club jacobin et gravit les marches du pouvoir. Il devient " l'Incorruptible ".
              Il entraîne les députés à voter le décret du 22 prairial sur les suspects. C'est le début de la Grande Terreur. En 10 mois, de septembre 1793 jusqu'à la chute du dictateur jacobin le 27 juillet 1794, la chasse aux suspects et aux étrangers va faire environ 40.000 victimes. 17.000 victimes sont guillotinées. Les autres sont noyées, fusillées, ou massacrées de diverses manières, selon les directives locales du pouvoir et les fantaisies des assassins.
              Robespierre est le père du républicanisme français.

              Les discours du grand homme se ressemblent tous. Il est facile de les caractériser à partir d'une analyse lexicale. Plus de la moitié des textes consiste en accusations, soupçons, insinuations. Dans le quart du reste, Robespierre se plaint d'être calomnié. Pour le reste, ce sont des formules chocs, des enflures.



    La haine des étrangers

    La xénophobie est une des constantes de la pensée de Robespierre.
    Le dernier français
    Robespierre guillotinant le bourreau après avoir fait guillotiner tous les Français.

               " Est-ce dans le moment où vous n'avez pas assez de vertu, de sagesse & d'énergie pour dompter tous les ennemis extérieurs & intérieur de la liberté, que vous devez chercher à comprimer le zèle, l'effervescence même du patriotisme ? Est-ce dans le moment où des traîtres s'agitent de toutes parts, que vous devez supprimez les comités de surveillance, les comités révolutionnaires que le peuple, fatigué des trahisons, a choisi pour déjouer les complots, & opposer une force active aux efforts de l'aristocratie ? [...]
             

    Je me résume, & je fais les propositions suivantes :

    1° Faire une loi qui bannisse les étrangers.

    2° Renvoyer au Comité de salut public à présenter des mesures sur les suites du décret d'arrestation prononcé contre une partie de ses membres.

    3° Sur le reste du projet de votre Comité, passer à l'ordre du jour. "
                                                                                                                                             

    (8 juin 1793)

    ROBESPIERRE

     

              " Je me défie indistinctement de tous ces étrangers dont le visage est couvert du masque du patriotisme, & qui s'efforcent de paraître plus républicains & plus énergiques que nous.

     

    Ce sont ces ardents patriotes qui sont les plus perfides artisans de nos maux.

     

    Ils sont les agents des puissances étrangères, car je sais bien que nos ennemis n'ont pas manqué de dire :

     

     

     

     

    Il faut que nos émissaires affectent le patriotisme le plus chaud, le plus exagéré, afin de pouvoir s'insinuer plus aisément dans nos Comités & dans nos assemblées ; ce sont eux qui sèment la discorde, qui rôdent autour des citoyens les plus estimables, autour des législateurs même les plus incorruptibles ; ils emploient le poison du modérantisme & l'art de l'exagération pour suggérer des idées plus ou moins favorables à leurs vue secrètes (...).

              Ce sont ces agents qu'il faut atteindre, c'est à eux qu'il faut parvenir en dépit de leur art perfide & du masque dont ils ne cessent de se couvrir.

    Ces agents là sont de tous les pays.

    Il y a des Espagnols, des Anglais, des Autrichiens ; il faut les frapper tous.

     

     

     

     

    Cour de la maison de Maurice Duplay (voir plan détaillé à cet article). Gravure tirée de G. Lenotre, Paris révolutionnaire (1895). En 1793, la maison n'a qu'un étage.

    La chambre de Robespierre est au premier, au-dessus de la fontaine

     

     

    La mesure est rigoureuse, elle pourra atteindre quelques philosophes amis de l'humanité ; mais cette espèce est si rare, que le nombre des victimes ne sera pas grand.

    D'ailleurs, cette espèce est si généreuse & si magnanime, qu'elle ne s'aigrira pas contre les mesures qui doivent assurer la prospérité de la France, le bonheur du genre humain & de la terre même qui leur a donné le jour, & où la tyrannie domine encore ".
    (16 octobre 1793)

    Afficher l'image d'origine 

              " Quelques petites violations de territoire, des chicaneries inutiles et minutieuses, des injures gratuites insérées dans les journaux, une intrigue très active, dont les principaux foyers sont Genève, le Mont-Terrible, et certains comités ténébreux qui se tiennent à Paris, composés de banquiers, d'étrangers et d'intrigants couverts d'un masque de patriotisme, tout a été mis en usage pour les déterminer à grossir la ligue de nos ennemis. "


    (Discours prononcé à la Convention le 27 brumaire an II, (17 décembre 1793)

     

    " Les étrangers ont paru quelque temps les arbitres de la tranquillité publique. L'argent circulait ou disparaissait à leur gré. Quand ils voulaient, le peuple trouvait du pain ; quand ils voulaient, le peuple en était privé ; des attroupements aux portes des boulangers se formaient & se dispersaient à leur signal. Ils nous environnent de leurs sicaires, & de leurs espions. "
    (Prononcé à la Convention le 25 décembre 1793)

     

    " Vous apercevez d'un seul coup d'oeil tout le système de conspiration qui se développe ; vous distinguez les étrangers cherchant, par le moyen de certains fripons, à ressusciter le girondisme. "
    (8 janvier 1794)

    ROBESPIERRE

     

    " Je demande que la société, au lieu de s'occuper d'un objet particulier, s'occupe au contraire d'étouffer toutes les factions & particulièrement celle de l'étranger. "
    (19 mars 1794)

     

    " Il est indifférent pour l'étranger que l'une ou l'autre des deux factions triomphent.(...). L'étranger doit protéger toutes ces factions sans s'attacher à aucune.

    Que lui importe qu'Hébert expie ses trahisons sur l'échafaud, s'il se trouve après lui d'autres scélérats qui veulent perdre la République, & égorger tous ceux qui ont combattu constamment contre les traîtres & les tyrans.

    Tous ces scélérats ligués avec l'étranger, comptent pour rien la République. "
    (21 mars 1794 - 1er germinal An II)

     

    " Ce qui nous intéresse est de savoir si tel est un conspirateur, s'il a jeté dans la société
    ile des ferments de discorde pour détruire la liberté, en un mot s'il a été attaché à la faction de l'étranger. "
    (15 mai 1794 - 26 floréal An II)

     

              " Il y a deux peuples en France.
              L'un est la masse des citoyens, pure, simple, altérée de justice et amie de la Liberté : c'est ce peuple vertueux qui verse tout son sang pour fonder la République qui en impose aux ennemis du dedans et ébranle les trônes des tyrans.
             

    L'autre est ce ramassis d'ambitieux et d'intrigants, c'est ce peuple babillard, charlatan, artificieux, qui se montre partout, qui persécute le patriotisme, qui s'empare des tribunes et souvent des fonctions publiques ;

     

    qui abuse de l'instruction que les avantages de l'ancien régime lui ont donnée, pour tromper l'opinion publique ; c'est ce peuple de fripons, d'étrangers, de contre-révolutionnaires hypocrites, qui se place entre le peuple français et ses représentants, pour tromper l'un et calomnier les autres, pour entraver leurs opérations, pour tourner contre le bien public les lois les plus utiles et les vérités les plus salutaires.

           

    Tant que cette race impure existera, la République sera malheureuse et précaire, C'est à vous de la délivrer par une énergie imposante et par un concert inaltérable.
            Ceux qui cherchent à nous diviser, ceux qui arrêtent la marche du gouvernement, ceux qui le calomnient tous les jours près de vous par des insinuations perfides, ceux qui cherchent à former contre lui une coalition dangereuse de toutes les passions funestes, de tous les amours-propres irascibles, de tous les intérêts opposés à l'intérêt public, sont vos ennemis et ceux de la Patrie ; ce sont les agents de l'étranger. "
    (Discours du 26 mai 1794)

     

              " Quand l'énergie républicaine eut confondu ce lâche système & fondé la démocratie, l'aristocratie & l'étranger formèrent le plan de tout outrer & de tout corrompre. (...)


              Que voulaient-ils ceux qui, au sein des conspirations dont nous étions environnés, au milieu des embarras d'une telle guerre, au moment où les torches de la discorde civile fumaient encore, attaquèrent tout-à-coup tous les cultes par la violence, pour s'ériger eux-mêmes en apôtres fougueux du néant, & en missionnaires fanatiques de l'athéisme ?

    Quel était le motif de cette grande opération tramée dans les ténèbres de la nuit, à l'insu de la Convention nationale, par des prêtres, par des étrangers & par des conspirateurs ? "
    (Discours du 7 mai 1794)

    Signature de Maximilien de Robespierre 

    " Je suis loin d'imputer les abus à la majorité de ceux à qui vous avez donné votre confiance ; la majorité est elle-même paralysée et trahie ; l'intrigue et l'étranger triomphent. "
    (Dernier discours, 8 thermidor an II)

     

     

    Discours de Robespierre du 26 juillet 1794, Archives nationales.

     

     

    sources

     

    http://www.contreculture.org/AG%20Robespierre.html

     

     

     

     

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    NOYADES DE NANTES:

    UNE MEMOIRE TROP GENANTE

    Il y a 220 ans, le 17 novembre 1793, avait lieu la première des noyades de Nantes.

     Les noyades à Nantes ont eu lieu entre novembre 1793 et février 1794 à Nantes, alors chef-lieu du département de la Loire-Inférieure.

     

    Pendant cette brève période, des milliers de personnes, suspects aux yeux de la République, notamment des personnes d’Église, ont été noyées dans la Loire sur ordre de Jean-Baptiste Carrier représentant en mission de la Convention.

     

     

     

     Le rappel des faits

    Il y a alors environ 13 000 prisonniers dans les prisons de Nantes : ceux que le régime appellent les « brigands », c’est à dire les nobles et les paysans de Basse-Bretagne et du Bas-Poitou qui se sont soulevés à partir de mars 1793 pour la défense de leur foi et par refus de la levée en masse, les prêtres réfractaires qui ont refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé et plus généralement tout ceux qui s’opposent à la Terreur.

     

    Les prisonniers, initialement dispersés dans plusieurs prisons de la ville, sont regroupés, afin d’éviter les épidémies et notamment le typhus, à l’Entrepôt des Cafés et sur des navires mouillés dans le port.

     

    D’autres prisonniers sont enfermés dans la prison du Bouffay (sur l’actuelle place éponyme).

     

    La décision de procéder à la noyade des prisonniers a été prise par Carrier et le Comité révolutionnaire de Nantes dans la nuit du 3 au 4 décembre 1793. Les prisonniers sont embarqués sur des barques à fond plat qui sont coulées au milieu de la Loire, au niveau de Chantenay .

     

    La première noyade, qui concernait 90 prêtres réfractaires, avait en fait eu lieu dès le 17 novembre.

     

    Carrier l’a présenté comme un accident mais on peut penser qu’elle lui a donné l’idée d’en systématiser la pratique.

     

    Les noyades se sont enchaînées à un rythme régulier jusqu’en février 1794. Opérées essentiellement à partir de pontons, les dernières se sont faîtes à partir de galiotes, navires hollandais restés à Nantes par suite du blocus.

     

    Le 26 décembre 1793, à Nantes, le commissaire civil Benaben présente ainsi le dispositif aux administrateurs du Maine-et-Loire :

     

    « Ici on emploie une toute autre manière de nous débarrasser de cette mauvaise engeance.

     

    On met tous ces coquins-là dans des bateaux qu’on fait couler ensuite à fond.

     

    On appelle cela « envoyer au château d’eau ».

     

    En vérité, si les brigands se sont plaint quelquefois de mourir de faim, ils ne pourront pas se plaindre au moins qu’on les fasse mourir de soif.

     

    On en a fait boire aujourd’hui environ douze cents.

     

    Je ne sais qui a imaginé cet espèce de supplice, mais il est beaucoup plus prompt que la guillotine qui ne paraît désormais destinée qu’à faire tomber la tête des nobles, des prêtres et de tous ceux qui, par le rang qu’ils occupaient autrefois, avaient une grande influence sur la multitude[]. »

     

    Le nombre des victimes n’est pas connu avec précision.

     

    Selon Roger Dupuy, il y a eu entre 7 et 11 noyades, avec 300 à 400 victimes à chaque fois soit de 2 000 à 4 500 personnes environ

     

    Pour Jacques Hussenet, 1 800 à 4 800 personnes ont été noyées sur ordre de Carrier[], 2 000 autres personnes, peut-être, sur ordre d’autres révolutionnaires nantais[].

     

    Entre 1 800 et 4 000 personnes auraient péri dans les noyades selon Jean-Clément Martin[]. Alfred Lallié a évalué à 4 860 le nombre des noyés,, nombre repris par Hippolyte Taine[. . . . Selon l’historien Reynald Secher, il y a eu 4 800 victimes, rien que pour l’automne 1793[].

     

    D’autres chiffres circulent également : pour Gaston Martin environ 1 800, pour Fouquet 9 000, pour Mellinet 3 500.

     

    A ces noyades, il faut ajouter 2 600 prisonniers fusillés et 3 000 victimes du typhus et autres maladies en raison des conditions d’hygiène déplorables dans les prisons, de telle sorte qu’on peut estimer à 10 000 le nombre de morts (sur les 13 000 prisonniers) entre novembre 1793 et février 1794.

     

    Une mémoire occultée

    L’existence des noyades n’est pas contestée mais leur évocation est discrète, pour ne pas dire étouffée, notamment à Nantes.

     

    Alors que la Ville de Nantes a, depuis quelques années, à l’initiative de plusieurs associations locales, ravivé la mémoire de l’esclavage en faisant notamment construire un imposant mémorial le long des quai de la Loire, elle ignore totalement le souvenir des massacres de l’hiver 1793-1794.

    Les seules évocations existantes sont peu visibles.

    A l’emplacement de l’ancien Entrepôt des Cafés (aujourd’hui au 2, rue Lamoricière), a été apposée une plaque, certes à l’initiative de la Ville de Nantes mais bien modeste au regard des 7 millions d’euros consentis pour le mémorial de l’esclavage et que seuls les passants curieux ou avertis peuvent voir.

     

     

    Dans le même quartier, il existe une rue des Martyrs mais dont les plaques se gardent bien de dire de quels martyrs il s’agit avec, au numéro 7, un monument commémoratif explicite mais situé désormais dans la cour d’un immeuble moderne que seuls les résidents peuvent connaître.

    La création récente du musée d’histoire locale au sein du Château des Ducs de Bretagne à Nantes aurait pu permettre de faire découvrir ou redécouvrir cette sombre page d’histoire au plus grand nombre.

     

    Mais la partie consacrée à la Révolution française a été confiée à Jean-Clément Martin, historien nantais, président de la Société d’études robespierristes,

     

    qui a toujours cherché à minimiser et à banaliser la répression sanglante qui s’est abattue sur la population vendéenne à partir de 1793.

     

    Pour lui, « il y a bien eu des crimes de guerre et des batailles abominables, c’est clair, mais en aucun cas un génocide » lors des guerres de Vendée.

     

    « La Révolution française a été un épisode de guerre civile avec ce que cela veut dire de vide d’État, de concurrence pour le pouvoir et d’explosion de violences. Une lecture purement politique de l’épisode ne peut donc pas rendre compte de cette dimension, qui n’est pas liée à une idéologie particulière mais à un mécanisme institutionnel, politique et social rencontré dans d’autres circonstances. »

    Sa théorie est battue en brèche par l’historien Reynald Secher qui s’attache à démontrer qu’il y bien eu, au contraire, projet de génocide, c’est-à-dire de destruction volontaire et programmée de la population vendéenne, non pour ce qu’elle avait fait, mais pour ce quelle était.

     

    S’il en a été ainsi, c’est que la République, sous la Terreur, a inventé l’État totalitaire dont d’autres sauront s’inspirer, plus tard, de Berlin à Moscou.

     

    Et il dénonce, avec autant de vigueur, ce qu’il appelle le « mémoricide », c’est-à-dire la démarche consistant à ignorer les faits et à discréditer ceux qui les rapportent. C’est ainsi qu’en prétendant présenter une vision équilibrée des choses, le musée du château de Nantes met, sur un pied d’égalité, le crime et la légitime défense.

    Dès lors, on pourrait effectivement parler de « mémoricide » de la part de la Ville de Nantes à propos du silence qui entoure les noyades de Nantes.

     

    Pourtant, en cette époque si avide de devoir de mémoire, il serait normal de rendre enfin justice à ces infortunées victimes de 1793-1794, mortes deux fois, avec une abominable cruauté d’abord et dans un insidieux oubli ensuite.

     

    La seule réparation valable serait l’édification d’un monument commémoratif à l’emplacement du principal lieu de supplice, à savoir le long des quais de Loire, devant Chantenay, à la hauteur de l’actuel pont Anne de Bretagne.

     

    On peut se demander néanmoins si un tel projet n’a pas d’ores et déjà été rendu impossible par le fait que cet endroit est déjà occupé par le mémorial de l’esclavage évoqué plus haut.

     

    Rien ne justifiait, en effet, que ce mémorial fût installé à cet emplacement alors que le port maritime s’étendait plus à l’Ouest et qu’aucun esclave n’a jamais transité, à la différence d’autres ports négriers, par le port de Nantes.

     

    Autre fait troublant, les exactions commises à l’initiative de Jean-Baptiste Carrier ont été exécutées par un groupe de mercenaires, la Compagnie Marat, dont les membres étaient surnommés les hussards américains car ils comprenaient, dans leurs rangs, des esclaves affranchis originaires de Saint-Domingue.

    Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’opposer une mémoire à une autre, mais d’exposer les faits, tous les faits et pour tous.

    La mémoire de la traite et de l’esclavage a toute sa place à Nantes qui fut le premier port négrier de France.

    Mais cette mémoire ne doit pas occulter celle des noyades de Nantes qui est une tache tout aussi importante dans l’histoire de la Ville.

    Au-delà de Nantes, il semble bien que ce soit la République qui ait quelque souci avec l’Histoire.

    Toujours prompte à dénoncer les crimes de ses prédécesseurs (on le voit avec la traite reconnue, elle, depuis 2001, comme un crime contre l’humanité) ou des autres pays (comme la reconnaissance du génocide arménien),

    elle devient soudainement amnésique quand il s’agit des siens, comme si elle craignait qu’ils ne compromissent sa légitimité aux yeux du peuple dont elle revendique d’être la représentante.

     

    Mais peut-être a-t-elle raison d’avoir peur, car la vérité finit toujours par éclater.

     

     

    Fabrice de CHANCEUIL         

    17 novembre 2013

     

    https://fabricedechanceuil.wordpress.com/2013/11/16/noyades-de-nantes-une-memoire-trop-genante/

     

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