• ROBESPIERRE, un tyran, déguisé en victime

     

     

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    Ce n'est pas l'histoire de la vie et de la mort de Robespierre que nous voulons écrire ; cette histoire est connue de tout le monde. C'est son portrait politique et moral que nous voulons esquisser, ne fût-ce que pour y remplacer par les ombres de la réalité ces rayons trop insolents dont un historien contemporain, M. Louis Blanc, lui a fait une auréole. L'avant-dernier volume de l’Histoire de la Révolution, publié par cet écrivain passionné, partial et subtil, est presque entièrement consacré à réhabiliter le tyran, déguisé en victime. Ce paradoxe est trop scandaleux pour que nous ne saisissions pas la première occasion qui s'offre à nous de démolir pièce à pièce cet habile mais fragile échafaudage, et de jeter à bas de sa colonne usurpée ce rhéteur sanguinaire qui ose aspirer à notre admiration.

     

    Eh quoi ! celui dont longtemps on n'a osé prononcer le nom, terrible comme la mort; celui dont on veut faire maintenant la dernière et la plus illustre victime du modérantisme; celui qui, nous dit-on, après avoir liquidé définitivement des haines toutes inspirées par l'amour de la patrie, allait inaugurer, sous son nom, le règne de la clémence, enfin permise par l'ordre et la victoire, le voilà lui-même, ce Robespierre maudit des mères, le voilà porté en triomphe en avant de Danton et de Joseph Lebon, qui profitent de l'indulgence dont on l'inonde et essuient tranquillement à leurs mains le sang de septembre et le sang de Cambrai!

     

    Le voilà, par l'appareil tragique et désespéré de sa longue agonie, par sa mâchoire brisée d'un coup de pistolet qu'il n'eût pas dû attendre, par ce: « Monsieur! » dit à ses derniers moments, où l'on veut voir puérilement la promesse et le regret d'une restauration romanesque, cherchant à surprendre la pitié qu'il avait si souvent insultée, et qui lui fit, par un affront plus cruel que la mort, si unanimement défaut, quand il passa sur ce tombereau où étaient passées avant lui tant de plus nobles victimes, qui avaient mérité et épuisé les larmes !

     

    J'aime ce respect des morts, même quand il est excessif et s'étend jusqu'à leur vie. Je rends hommage à ce goût des causes perdues, à cette sympathie pour les vaincus, pour les calomniés, qui respire si puissamment dans l'ouvrage de M. Louis Blanc. Ce n'est donc pas une fantaisie d'iconoclaste, c'est le sentiment impérieux de la vérité et le désir de venger la justice insultée, qui me forcent à porter la main sur ce trop élégant et trop harmonieux tombeau, où l'historien paradoxal prétend enfermer dans les parfums précieux de son style le crucifié de thermidor, et bercer pieusement, au bruit de louanges rétrospectives, ce sommeil qu'il goûte pour la première fois.

    Dès le mois de juin 1794 (10 prairial environ), dit M. Louis Blanc, Robespierre, las de meurtres et de blasphèmes, las de difficultés toujours renaissantes, et que semble activer, au lieu de les étouffer, la rosée de sang de la Terreur, cherche à rompre avec la cruauté et l'athéisme. Le fondateur du Comité de salut public s'absente, avec affectation, de ces délibérations meurtrières qu'il désavoue.

     

    En même temps, il cherche à ranimer dans les âmes, abâtardies par le culte abstrait de la Raison, la notion de l'Être-Suprême. Enfin, l'homme qui a sacrifié successivement les Constituants, les Girondins, les Hébertistes, les Dantonistes, se ravise et cherche à rogner sa part à la guillotine rassasiée. Le panégyriste déjà timide de septembre, s'efforce d'apprivoiser de nouveau les âmes à la clémence et de leur rapprendre le pardon. Il cherche à rallier, au dehors, à la cause de la Révolution triomphante les sympathies timorées de l'étranger. Il cherche à réconcilier avec le nouveau régime tout ce qui, de l'ancien, n'est point, par peur ou par haine, demeuré implacable. Il cherche, enfin, à constituer un gouvernement régulier, dont la Convention sera le siège, dont les Jacobins seront la voix, dont les comités seront les bras, et dont il sera la tête, le chef d'autant plus inviolable qu'il gouvernera sans le paraître.

     


      

    Oui, ce plan de tyrannie discrète et d'occulte domination dut être, à un certain moment de déception et de frayeur, le rêve favori de Robespierre. Oui, assis entre Couthon et Saint-Just, il put se voir, dans ses songes d'ambition et de paix, prenant le gouvernail de ce navire longtemps battu par la tempête, et enfin tenu à l'ancre par une obéissante majorité.

     

    Mais ce rêve, dont on lui fait un honneur, je lui en fais, moi, un crime de plus, et je ne puis que m'étonner au moins de cette admiration inattendue pour cette ambition intéressée, ou pour ce découragement habile, qui insinuèrent également, peut-être à la fois, à Robespierre, au promoteur révolutionnaire par excellence, le goût tardif de la modération et du repos. Et ce n'est pas parce qu'il a échoué, parce qu'il a été déçu, vaincu, que je l'accuse et le méprise : vainqueur, je l'accuserais et je le mépriserais bien davantage.

      

      

      

    J'oserais même le plaindre, si son tardif revirement, si son retour désespéré aux notions de justice et d'ordre eussent été consciencieux, sincères, s'ils n'avaient pas été la dernière illusion de son orgueil, le dernier effort de sa dissimulation; si celui qui fut opprimé n'avait pas opprimé les autres, si celui qui fut trahi n'avait pas commencé par trahir, si, dans la victime de thermidor enfin, je pouvais voir autre chose qu'un futur despote pris à son propre piège.


      

      

    Ce retour de Robespierre à l'humanité fut-il sincère, en effet, et fut-il désintéressé ? Robespierre voulut-il sauver la France, ou ne voulut-il que se sauver lui-même ? Pour nous, la question n'est point douteuse.

     

    Robespierre fut puni, par le coup d'État de thermidor, d'une politique toute de coups d'État. L'intimidation qu'il semait devant lui, depuis si longtemps, porta enfin son fruit sinistre. La Terreur lui avait donné, comme elle en donne au bourreau, une cour et des flatteurs. Elle ne lui laissa pas un ami, et, au jour où il faut être mille, il se trouva seul.

     

    Ne l'avait-il pas mérité, par son ambition inexorable, par sa duplicité homicide ? N'avait-il pas employé l'échafaud, depuis deux ans, à sa propre inviolabilité, sacrifié successivement, sur l'autel sanglant de la patrie quiconque lui faisait obstacle ou simplement ombrage ? Où étaient les Dupont, les Barnave, les d'Esprémesnil, les Bailly, les premiers et insensés fondateurs de la République ? Où étaient les Girondins, spirituelle, éloquente et ambitieuse cohorte, qui fut punie, par l'échafaud du 31 mai, de l'échafaud du 21 janvier, qui n'osa pas sauver le Roi, et ne put se sauver elle-même ?

     

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    Où étaient les Hébert, les Chaumette, sacrifiés par Robespierre, non à sa croyance en Dieu, mais à sa foi en lui-même, non à sa religion, mais à cette politique tortueuse, par laquelle il aspirait à la dictature ? Où étaient enfin les Danton, les Camille Desmoulins, les Hérault de Séchelles, les Fabre d'Églantine ? Tous successivement, fatalement, n'étaient-ils pas passés, de la disgrâce des Jacobins à la disgrâce de leurs collègues, et la peur ne les avait-elle pas, l'un après l'autre, livrés à l'envie ?

      

    De toutes les premières gloires de la Révolution, de tous les organisateurs, de tous les orateurs, de tous les journalistes, de tous les poètes des premières et folles et fières années, en restait-il un debout, pour troubler et pour défier ce regard d'acier qui ne voyait la paix que dans la solitude, pour inquiéter ce Tartuffe républicain, comme l'appelait Fabre, qui eût peut-être inspiré à cet auteur dramatique, tué dans sa fleur, un chef-d'œuvre nouveau digne de Molière ?

     

     

      

      

    Tous étaient morts successivement, fatalement morts par Robespierre qui, seul désormais, entre Couthon et Saint-Just, pouvait impunément profiter de leurs idées, de leurs actions, de leurs projets, fauchés pour lui par la guillotine, s'envelopper largement dans cette popularité dont, lambeau par lambeau, il les avait dépouillés.

     

    Robespierre, en juin 1794, s'il s'arrêta, ou plutôt voulut s'arrêter, le voulut par orgueil ou par peur. Il voulut jouir du triomphe ou en pallier l'horreur. Il voulut savourer le pouvoir, ou faire oublier ce qu'il lui avait coûté. Robespierre ne chercha à arrêter la Révolution que lorsqu'il la crut parvenue à son terme, ou que le char armé de faux menaça de lui passer sur le corps. Mais Robespierre n'était qu'un homme, et de la Révolution, c'est-à-dire de la destruction, l'insensé, il avait fait un principe !


      

      

    La vérité est là. Si Robespierre avait voulu sincèrement arrêter la Révolution, il n'eût pas attendu à thermidor. S'il l'avait voulu avec ce désintéressement héroïque qu'on lui prête, pourquoi, au lieu de demeurer seul, ne s'entourait-il pas, au moment où ils sentait comme lui cet immense besoin de concorde, de pardon et d'oubli, des Dantonistes convertis ?

      

    Pourquoi, n'étendit-il point à Camille Desmoulins, coupable d'avoir prononcéle mot de clémence, cette absolution habile par laquelle il chercha à se rallier les voix des soixante-treize députés, rendus à leurs sièges ? La reconnaissance fut digne, au reste, du bienfait : « Pouvez-vous nous répondre du ventre? » demanda Billaut-Varennes à un des députés du Centre. « Oui, si vous êtes les plus forts, répondit-il.»

     

    Si Robespierre, sans être désintéressé, était seulement sincère, dans ces velléités conciliatrices, par lesquelles il cherchait à échapper à la solidarité sanglante qui l'entraînait malgré lui, pourquoi, le 8 thermidor, demandait-il encore des têtes ?

      

    Pourquoi, près de mourir, voulut-il, une dernière fois, constater par la terreur sa puissance qui lui échappait, et menaça-t-il, en tremblant déjà, comme disait Tacite, ses ennemis sans oser les nommer ?

     

     

      

      

    Ah ! c'est que, déjà environné de fantômes vengeurs, il se sentait entraîné par la triple fatalité de l'ambition, de la colère et de la peur.

     

    Donc, le 8 thermidor, il menaçait encore, ce tyran aveuglé qui, le 9, allait être menacé à son tour. Qu'on ne nous fasse donc pas de lui une victime de la modération et de la clémence, mais une dupe de la haine et de la peur. Qu'on ne dise pas que la lutte était à ce point engagée, qu'il fallait encore, à ce système sanguinaire, qui avait dévoré et englouti, comme le Minotaure, tant de nobles têtes, une dernière offrande pour l'apaiser.

      

    La preuve que Robespierre pouvait encore, aux premiers jours de thermidor, se montrer impunément calme, conciliateur, vengeur, c'est que ses ennemis, qui ne valaient pas mieux que lui, saisirent victorieusement ce rôle qu'il dédaignait, et qu'il fut égorgé au nom d'une réaction, habilement feinte, de justice et de pitié, par ses anciens complices, dont la libératrice hardiesse fit oublier tous les crimes, et que les larmes reconnaissantes de la France entière lavèrent, indignes sauveurs, de leurs ignominies.

     

     

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    Tallien, Fréron, Barrère devinrent des hommes, presque de grands hommes, à la suite de ce coup d'Etat, ou plutôt de ce guet-apens, plus habile que courageux, du 9 thermidor. Si Robespierre, au lieu de se laisser surprendre, les eût devancés, les acclamations eussent été plus chaleureuses et plus unanimes.

     

    Mais non, il ne voulut pas, il ne sut pas, il n'osa pas. Il fit maladresse sur maladresse. Il tira un discours de sa poche quand il fallait, comme Tallien, tirer un poignard ; il parla quand il fallait agir; il discuta quand il fallait combattre; il fut au-dessous du mépris d'un Payan, des injures d'un Coffinhal. Ce héros qui voulait, dites-vous, sauver la France, il ne sut pas se sauver lui-même, alors qu'il le pouvait, alors qu'il avait la force pour appuyer ce droit qui semblait encore résider en lui.

     

     

     

     

      

      

    Il ne sut pas se sauver ; il ne sut pas même mourir, comme LeBas, et échapper, en singeant les stoïques Romains, à la main du bourreau. Echappé miraculeusement une première fois, il se laissa prendre au dévouement égoïste de ses amis, qui voulaient se cacher derrière lui.

     

    Il vint s'enfermer dans cette souricière de la Commune, et là, quand il pouvait, M. Louis Blanc l'affirme, faire l'insurrection d'un seul mot, d'une signature convoquer une armée; se sauver, non-seulement lui, mais les autres, sauver ceux qui allaient mourir pour lui; quand il pouvait, d'un seul coup, réaliser le rêve de toute sa vie, donner à son ambition la double excuse du salut public et de son propre salut ; mettre hors la loi cette Convention de brigands qui l'y avait mis, il hésita, il recula, il ne put signer que Ro... de son nom de Robespierre.

      

    Il attendit le coup de pistolet de Méda, et le réquisitoire de Fouquier-Tinville, et les insultes de toute une nuit et de tout un peuple, et la mort ignominieuse de la guillotine. Et tout cela, dites-vous, par d'héroïques scrupules de légalité ! Le mot est joli.

      

      

      

      

    L'égalité, quand on est attaqué par des assassins ! Quoi de plus légal que le droit de défense ?

    Si se défendre est illégal, c'est-donc légalement que mourut Robespierre.

    N'eût-il pas les honneurs légaux d'un décret de la Convention ? Son identité ne fut-elle pas légalement constatée ?

    et ne mourut-il pas de la main du tueur légal, de la main de Sanson ?

     

    M. De Lesccre.

     

     

     

      

      

    source : http://www.democratie-royale.org/article-robespierre-tyran-deguise-en-victime-77508681.html

     

     

      

     

    Projet de constitution de 1791 annotée par Robespierre

     



    Projet de constitution annoté de la main de Maximilien de Robespierre (1758-1794)

    La Constitution française : projet présenté à l'Assemblée nationale par les comités de constitution et de révision.

    Paris, Imprimerie nationale, 1791. In-4°, demi-chagrin brun,chemise et étui de maroquin rouge à grains longs.

    Encadrements de filets dorés et faisceaux de licteur dans les angles.

    Exemplaire personnel de Robespierre annoté de sa main.

    © Assemblée nationale

    Robespierre note les arguments du discours qu'il prononcera le 11 août 1791 : il s'agit de revenir sur le décret dit du « marc d'argent », adopté le 29 octobre 1789, qui a institué un suffrage censitaire à trois niveaux de contribution pour être citoyen actif, électeur et éligible. A la suite de son intervention, les députés supprimeront, le 27 août 1791, la condition du « marc d'argent » pour être éligible, mais ils maintiendront la distinction entre citoyens passifs, citoyens actifs et électeurs.

    La revendication d'un suffrage universel ne sera satisfaite, temporairement, qu'en 1792, après la chute de la royauté.

    http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/constitution_robespierre.asp

     

     

     

     

     

     

     

     

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