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    Un procès en infâmie

    rubans et larmesEn janvier 1779, un quartier parisien, entre la Seine et Notre-Dame, est en émoi. C'est un quartier populaire où se côtoient domestiques, artisans, apprentis, où tout se sait, tout s'entend. La rue voit, la rue parle.

      

    Et en ce mois de janvier,elle parle surtout de la conduite scandaleuse d'Anne-Sophie, épouse Branchu, qui, de l'avis de tous, se comporte comme une débauchée.
     

      

    Bien que les époux soient séparés de corps et de biens depuis cinq ans, Branchu, marchand-ferblantier de son état, tient à sa réputation et à son honneur.

      

    Il tient aussi beaucoup à son commerce. Et à ce titre là, " Anne-Sophie est un danger économique pour son époux" (Arlette Farge).

    Excédé par ce libertinage effréné et fort de 17 témoignages, tous accablants et tous - étrangement- concordants, Branchu intente à sa femme un procès en adultère, crime très grave et "chose rare à l'époque" selon Arlette Farge, qui s'est plongée, avec un plaisir non dissimulé, dans les archives de ce procès, et dont l'étonnement grandit au fur et à mesure qu'elle feuillette "ces folios, écorchés, abîmés par le temps".

      

    Car les pièces d'accusation tracent non le portrait d'une ferblantière dévergondée mais celui d'une aristocrate libertine.

      

    Les témoins parlent de rubans, de bijoux, de goût du luxe, de débordement des sens, de volupté, de lits de roses, de liqueurs, de baisers reçus et donnés à la hâte. Anne-Sophie Branchu... une marquise de Merteuil, une madame de Parabère ?

      

    Arlette Farge mène avec gourmandise son enquête, je n'en dévoilerai donc pas la fin (étonnante), sachez seulement qu'Anne-Sophie fut un temps enfermée au couvent Saint-Michel puis dans la prison du Grand Châtelet où elle tomba très malade.

    Ce livre interpelle. Sur la condition de la femme mariée bien sûr, mais aussi sur le libertinage : était-il, au XVIIIe siècle, uniquement le fait du prince ou aussi celui du manant ?


    Si l'on en croit les écrits de plusieurs témoins de l'époque, que ce soit Casanova (relisons ses Mémoires!) ou Mercier (qui dénonce la généralisation de l’adultère à la veille de la Révolution), cette liberté des mœurs ne se limita pas à la classe dirigeante; elle se diffusa aussi dans les milieux bourgeois, dans le monde ouvrier des grandes villes et même dans le monde rural qui rivalisait plus fréquemment qu'on ne le croit avec la paillardise ou la licence nobiliaire.

      

    A cela, on peut hasarder quelques explications: outre "l'air du temps", la faute à ces mariages de convenance et d'intérêt dans lesquels l'amour n'était pas vraiment de mise, au nomadisme des travailleurs (quelquefois bigames) obligés pour des raisons économiques de se déplacer de ville en ville.


    Toutefois, la femme du peuple obéissait en général aux règles morales et évitait de transgresser les interdits religieux, car pour l'Église, l'adultère qu'il fut noble ou bourgeois, restait un crime capital, surtout pour la femme qui, "souillant de ce fait l'honneur du mari", était soit emprisonnée, soit, comme l'écrit en 1779, Claude Joseph de la Ferrière dans son "Dictionnaire de droit et de pratique ", perdait sa dot et ses conventions matrimoniales et devait être mise dans un couvent pour deux ans pendant lesquels il était permis à un mari de la reprendre.

      

    Ledit temps passé, elle devait y demeurer enfermée à perpétuité".

      

    La Ferrière ajoute: " on voit assez que cette punition est "pour la satisfaction du mari"...

      

    Car, que les accusations ou les arguments soient vrais ou faux, la rumeur, l'argent et la réputation jouaient un rôle essentiel dans ces procès longs et douloureux et qui, en effet, se terminaient la plupart du temps par la victoire du mari.


     

    Un ruban et des larmes

    Arlette Farge

    Editions des Busclats

      

      

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