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    Louveciennes dans l’histoire contemporaine (1) :

    Henri d’Orléans, comte de Paris

    Henri d’Orléans, comte de Paris, prétendant au trône de France dans le cas d’une très hypothétique restauration monarchique, a longuement séjourné à Louveciennes, de 1953 à 1972.
    Après l'abrogation de la loi d'exil, par l'Assemblée nationale en 1950, Henri d'Orléans rentra en France et s'installa au manoir « Le Cœur Volant » avec son épouse et ses 11 enfants.
     
    Il existe plusieurs manières de raconter ce séjour.
    On peut retenir la vie brillante menée par la famille princière sous l’œil des médias (« Paris Match », « Point de vue-Images du monde », ,…) avec ses joies et ses peines. Le mariage civil de trois de leurs filles en mairie de Louveciennes, Hélène en 1957, Isabelle en 1964. Anne en 1965. Le drame qui viendra endeuiller la famille : François, un des fils, tué le 11 octobre 1960 dans les Aurès lors de la guerre d'Algérie.
    On peut également s’attacher à l’action politique du comte de Paris. C’est ce que nous essaierons de faire.
    Mais avant cela, il s’agit de planter le décor.

    Le manoir du Cœur Volant

    Manoir-du-coeur-volant-louveciennes Le manoir se situe au n°12, route de Marly, à mi-pente de la côte du « Coeur Volant », face à la porte du Phare ouvrant sur le Parc de Marly.

    Il s’agit d’une gentilhommière d’un style anglo-normand, assez bâtard. Le manoir appartenait au début du 20ème siècle à l’ambassadeur argentin en France, Marcelo de Alvear, qui devint plus tard président de la République d’Argentine.

    La gentilhommière avait remplacé la propriété de Madame Aubernon qui inspira, dit-on, le personnage de Madame Verdurin dans l’oeuvre de Marcel Proust (« Un amour de Swann ») (1).

    Le comte de Paris acheta le domaine en 1952 et s’y installa avec sa famille en octobre 1953 après 20 mois de travaux.

    Le domaine comprenait un bâtiment principal, une annexe baptisée “Blanche Neige”, maison du 18ème siècle où était logé le personnel, des garages et deux serres et un très beau parc


     

     

     

    ProprieteComtedePari A l’époque, la « grande maison » se composait au rez-de-chaussée d’un immense hall d’entrée, d’un salon en rotonde donnant sur le jardin, une salle à manger donnant sur la route, un grand bureau faisant office de pièce de vie ainsi qu’une salle de jeux en prolongement. Le premier étage était consacré aux appartements privés du comte et de la comtesse de Paris. Le deuxième étage était habité par les princes Henri et François, les princesses Isabelle et Hélène ainsi que par le prince Michel de Grèce, neveu du comte de Paris.
    La seconde maison, genre fermette normande, dénommée « Blanche Neige » fut aménagée pour loger les cadets et leur gouvernante ainsi qu’une salle à manger. Le comte et comtesse de Paris venaient chaque matin y prendre le petit-déjeuner.
    Le domaine a été vendu au milieu des années 1970, le parc loti et le « manoir » cédé à une banque et à une ambassade.

    « Etre prétendant, c’est être commis voyageur »

    De retour en France, convaincu des chances d’une restauration, le comte déploya son action politique sous différentes formes : un secrétariat installé dans un magnifique hôtel particulier légué par une dame royaliste, à Paris rue de Constantine, un Bulletin mensuel d’information de 4 pages distribué aux élites et de nombreuses réceptions dans la demeure de Louveciennes dans la grande tradition de l’époque.

    Michel de Grèce, neveu du comte de Paris, qui dans son adolescence a vécu à Louveciennes, relate ces soirs de réception dans ses « Mémoires insolites » (2).

    « Les dîners de Louveciennes formaient un des pivots de l’action de mon oncle. Deux fois par semaine, le mardi et le jeudi, il réunissait environ une quarantaine de convives, des ministres, des politiciens de l’opposition, des chefs d’entreprise, des banquiers, des hauts fonctionnaires, des cardinaux, des académiciens, des ducs. (…) A leur descente de voiture, les invités étaient reçus par les chefs de bureau de mon oncle, MM Delongrès-Moutier et Longone.
      
    Ils traversaient le hall orné du fameux tableau d’Horace Vernet représentant Louis-Philippe et ses fils à cheval devant le château de Versailles, qui faisait face au Louis XIII en pied par Champaigne. On leur servait l’apéritif dans le grand salon sous le nez du duc d’Orléans par Ingres, de la princesse de Joinville par Winterhalter et de la duchesse de Mecklembourg. (…)
      
    Se trouvaient réunis par exemple pour un soir le nonce du pape, Mgr Marella ; Valéry Giscard d’Estaing ; Maurice Schumann ; le duc et la duchesse de Brissac ; un autre duc, académicien de surcroît, celui de Castries ; Albin Chalandon et sa femme, la superbe Salomé Murat, sculpturale dans une robe rose ; le président de la Shell et son épouse, cette illustre figure mondaine qu’était Lady Detterding ; le général Catroux et son épouse surnommée « la reine Margot ».
     
      
    Le dîner annoncé, nous passions dans la salle à manger où les invités admiraient alignés sur les murs, les gouaches de Carmontelle représentant le duc d’Orléans avec sa famille et les membres de la Cour, ainsi qu’un extraordinaire dessin colorié d’Angelika Kauffmann figurant Philippe Egalité sans sa perruque.
      
    Le service était dirigé par le maître d’hôtel, le grand et beau Roger, qui portait avec les autre membres du personnel la livrée Orléans : boutons d’argent aux armoiries et les trois couleurs bleu-blanc-rouge. Une légende accréditée par la famille soutenait que ces couleurs de la maison d’Orléans avaient inspiré le drapeau tricolore. »

    Michel de Grèce évoque également une autre soirée avec des convives comme Pierre et Hélène Lazareff, des voisins, les Bleustein-Blanchet, propriétaires de Publicis, Marcel Pagnol, Joseph Kessel…

    Il arriva également au cours de ces soirées, après le dîner, que le comte de Paris, lors d’une actualité politique brûlante, emmena les messieurs dans son bureau pour en discuter.
      
    Michel de Grèce ne nous fait malheureusement pas partager la teneur de ces entretiens, car encore adolescent, s’il lui était permis d’assister au dîner, ce qui fut pour lui « une école incomparable », il n’était pas convié à ces réunions restreintes. Les femmes en étaient également exclues.
      
    Ainsi la comtesse de Paris, si elle participait aux soupers, était cantonnée à un rôle purement ornemental ; si elle avait l’audace de manifester quelques velléités pour participer aux échanges, elle était rapidement rappelé à l’ordre par son mari, très mufle : «Bébelle, tais-toi, tu n'y connais rien. ».
      
    Vers minuit, rituellement, le comte se levait et, pour signifier que la séance était terminée, prononçait la phrase rituelle : « Mesdames, Messieurs, je ne vous retiens pas. »

    La répétition des réceptions ne devait pas toujours être passionnante, elle pouvait engendrer une certaine lassitude comme ce soir où, en remontant l’escalier, le comte avoua à son neveu : « Etre prétendant, c’est être commis voyageur. »

    Michel de Grèce fait également état d’une visite du roi du Maroc, Mohammed V, revenu d’exil après avoir été déposé et exilé à Madagascar. Le comte de Paris s’était dès le début démené en sa faveur. « Aussi, lorsqu’il passa à Paris, Mohammed V lui rendit visite.
      
    Ce déjeuner suscita une excitation extrême à Louveciennes. Toute la famille royale marocaine débarqua. Les tailleurs gris trop serrés et les talons hauts des princesses leur seyaient peu. Le prince héritier, futur Hassan II, apparut en treillis.
      
    Quant au sultan, il craignait le froid en cet automne pluvieux et avait demandé une chaufferette sous la table afin d’y poser ses pieds lorsqu’il quittait ses babouches blanches. Il mangeait délicatement, il parlait peu, il manifestait une courtoisie de grand seigneur d’un autre âge, mais sous la douceur perçait l’autorité.»

    Au printemps 1958, le régime de la IVème République, incapable de résoudre « la question algérienne », était à l’agonie. En mai, le soulèvement des généraux appuyé par la population européenne d’Alger se dressa contre le gouvernement.
      
    On craignit un débarquement des parachutistes à Paris. A Louveciennes, Henri d’Orléans « se montrait profondément inquiet, au point qu’il avait préparé un plan pour le faire sortir lui et la famille hors de France à peine les chars seraient-ils apparus dans les rues de Paris. » (2). La suite est connue. Le général de Gaulle arriva au pouvoir, le comte de Paris se proclama un « partisan inconditionnel ».

    Les dîners à Louveciennes se poursuivirent « mais désormais, plus question de recevoir des représentants de l’opposition. Mon oncle se limita à nourrir les gaullistes à tous crins. Les agapes en perdirent de leur saveur, car on n’entendit plus qu’un concert de louanges parfois assez fades monter vers le grand homme. » (2)

    Nous verrons dans un prochain article comment Henri d’Orléans, encore plein d’illusions, espéra succéder au Général de Gaulle.

    __________________
    (1) Lydie de Nerville (1825-1899), mariée puis séparée de Georges Aubernon, conseiller d'État, recevait à partir de 1874, chaque mercredi, Cité de Messine, ensuite rue d'Astorg, le gratin intellectuel, théâtral et musical de Paris. Se retrouvèrent Alexandre Dumas fils, Marcel Proust, Anatole France, Guy de Maupassant, Aristide Briand, Alfred de Vigny, Gabriel Fauré et Camille Saint-Saëns et bien d’autres. Madame Aubernon était appelée dans le tout Paris « la Précieuse Radicale ». Pour les repas, les sujets de conversation étaient strictement fixés et si la conversation déviait, la dame agitait vivement une délicate sonnette en porcelaine.
      
    L’été venu, Madame Aubernon recevait ses convives à souper dans sa propriété du « Coeur Volant ».
      
    A l’époque, comme le remarquent Jacques et Monique Laÿ dans leur ouvrage (« Louveciennes, mon village »), il fallait faire preuve de stoïcisme pour affronter le voyage de Louveciennes : « les invités, en grand habit, doivent prendre le train à la gare Saint-Lazare et nombre d’entre eux se sont plus à raconter les souffrances endurées par ces messieurs en habit noir et souliers vernis, col, manchettes et plastrons empesés, transpirant dans l’étuve des wagons en bois chauffés à blanc sous le soleil des Batignolles, n’osant ouvrir leur veste car devant les dames qui les accompagnent, cela ne se fait pas.
      
    Arrivés à destination, la voiture de Mme Aubernon les attend à la gare ; à la fin de l’interminable soirée, le même attelage les ramène au train, au pas lent d’un cheval fatigué. »
      
    Madame Aubernon est morte en son domicile du Cœur Volant le 2 septembre 1899 ; elle est enterrée dans le cimetière de Louveciennes, sous les Arches.

      
    (2) Michel de Grèce, Mémoires insolites, XO Editions, Paris, 2004
    Mémoiresinsolites

     

    Nous nous sommes pour l’essentiel appuyé sur cet ouvrage qui est plaisant à lire ; on regrettera toutefois que le neveu du comte de Paris privilégie trop souvent l’aspect anecdotique des évènements auquel il participe plutôt que d’en dégager, en historien, leur signification. Il eut pourtant à Sciences-Po, comme professeur, René Rémond, le grand analyste politique.


     


    (3) Françoise Laot, La Comtesse de Paris, Plon, 1992. Françoise Laot est une ancienne rédactrice en chef de « Point de vue-Images du monde ».

     

     

     http://louveciennestribune.typepad.com/media/2010/08/louveciennes-dans-lhistoire-contemporaine-4-henri-dorl%C3%A9ans-comte-de-paris.html

     

     

     

     

     

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