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    Robespierre et l'affaire du paratonnerre


    En 1780, vivait à Saint-Omer un riche avocat, Me de Vissery de Blois-Valé, qui s'était acquis quelque réputation comme physicien amateur, botaniste, peintre et inventeur.

    Cette année là, en homme de progrès, il fit placer sur la plus haute cheminée de sa maison un paratonnerre.

    Or, M. de Vissery avait pour voisins les Rengard-Debussy, qui étaient en mauvais termes avec lui à cause d'un mur de mitoyen. Voulant être désagréables au physicien, ceux-ci rédigèrent une requête aux échevins de Saint-Omer déclarant que le paratonnerre risquait d'attirer la foudre et réclamant l'enlèvement de cet engin.

    Puis les Rengard-Debussy s'en furent trouver tous leurs voisins, l'avocat excepté (bien sûr), et leur demandèrent de signer leur pétition. Malgré son éloquence, le couple ne put décider que quatre ou cinq signatures au bas de leur réclamation.

    Ce fut assez cependant pour pousser le conseil municipal de Saint-Omer à agir : les échevins décidèrent que, dans les 24 heures, M. de Vissery devrait abattre son paratonnerre ; faute de quoi, il serait, à ses frais, déféré au bailli.

    L'accusé demanda aussitôt à s'expliquer, ce qui lui fut accordé. En présence d'une grande partie de la population de Saint-Omer, assemblée à la mairie, l'avocat plaida sa cause devant les échevins. Ce fut en vain. Peu au courant des progrès des sciences, la municipalité maintint sa première décision.

    Cette fois, la foule prit peur. La pointe métallique qui surmontait la maison de Vissery n'allait-elle pas attirer la foudre sur la ville, provoquer une catastrophe ?

    Ne se possédant plus, dominés par la crainte, nombre de gens se rendirent devant la maison de l'avocat-physicien s'énervèrent les uns les autres, puis exaspérés par le refus opposé par Vissery d'abattre son paratonnerre, ils menacèrent de mettre le feu à son habitation.

    D'instant en instant, la situation devenait plus sérieuse. Comme l'avocat apprenait qu'une compagnie de grenadiers se dirigeait vers sa maison pour enlever le paratonnerre, il se résolut de céder… du moins en apparence. Il monta sur le toit de sa demeure, enleva la longue pointe et … la remplaça par une plus petite.

    Apaisée, la foule se dispersa et l'avocat eut les rieurs pour lui.

    Mais M. de Vissery ne voulut pas se contenter de cette demi-victoire. Il résolut de poursuivre l'affaire devant le Conseil d'Artois.

    Pour défendre sa cause, il fit appel à Me Antoine-Joseph Buissart, avocat en vue, physicien également, membre de l'Académie d'Arras et de celle de Dijon, de la Société de Médecine et du Muséum de Paris. Comme l'indique Gérard Walter dans son étude sur Robespierre parue en 1936.

    « Me Buissart était considéré comme le plus grand physicien que le barreau d'Arras possédât à cette époque . Ne collaborait-ils pas au journal de Physique ?

    Voulant présenter un dossier convaincant aux juges du Conseil d'Artois et sachant que son client ne reculerait devant aucune dépense,

    Me Buissart entreprit de réunir de réunir une importante documentation. I

    l écrivit donc à nombre de savants de cette époque – Concordet, l'abbé Bertholon, Le roy, Jean Paul Marat … à maintes sociétés savantes – telles l'Académie de Montpellier, l'Académie des Sciences …, et à quatre jurisconsultes parisiens renommés : Target, Lacretelle, Henry et Polvorel.

    Cette correspondance de l'avocat artésien fit connaître en France l'affaire du paratonnerre et détermina des prises de position de corps constitués ou de personnes au nom célèbre : c'est ainsi que l'Académie de Dijon rédigea un exposé qui affirmait que le paratonnerre de Vissery ne présentait aucun danger, que l'Académie de Montpellier jugea sévèrement la façon d'agir des échevins de Saint-Omer, que l'Académie d'Arras pris parti pour M. de Vissery, etc.

    En septembre ou en octobre 1782 Me Buissart proposa au jeune Robespierrede plaider la cause, dont il avait établi le dossier et notamment un mémoire de 96 pages comportant un long exposé scientifique de la question.

    Pour quelle raison Me Buissart s'adressa-t-il à Maximilien plutôt qu'à un autre confrère ? Gérard Walter pense que la « récente nomination de celui-ci (Robespierre) comme juge de la salle épiscopale a pu attirer son attention sur le jeune avocat dont la distinction, l'existence honorable et rangée, les relations utiles dans les milieux ecclésiastiques n'ont pas dû passer inaperçus non plus .

    Cet historien pense aussi que Mme Buissart, « femme énergique et autoritairea pu influer sur la décision de son mari. Dans son étude sur La vie privée de Robespierre, Bernard Nabonne estime que son héros était l'amant de Mme Buissart. La chose est possible, sans être certaine.

    Quoiqu'il en soit, vers la fin d'octobre 1782, M. de Vissery fut ; au courant de la collaboration envisagée, puisque, le 25 octobre, il écrivit à Buissart qu'il souhaitait que « M. de Robespierre se couvre de gloire dans sa plaidoirie .

    Le procès commença le 14 mai 1783.

    Voulant seulement obtenir gain de cause et non se venger du couple Regnard-Debussy, qui était à l'origine de l'affaire, M. de Vissery avait renoncé à toute action contre les auteurs de la pétition.

    Quand en présence d'un nombreux public, Robespierre prit la parole, il s'efforça donc de prouver seulement que son client avait eu raison de dresser un paratonnerre sur sa maison.

    « Les arts et les sciences sont le plus noble présent du ciel à l'humanité, lut-il d'une voix lente dit-on. Par quelle fatalité ont-ils trouvé tant d'obstacles pour s'établir sur la terre ?…

    Pourquoi faut-il que nous ne puissions payer aux hommes qui ont inventé ou conduit à la perfection le juste titre de reconnaissance et d'admiration que leur doit l'humanité entière, sans être forcés de gémir en même temps sur les honteuses persécutions, qui ont rendu leurs sublimes découvertes aussi fatales à leur repos qu'elles étaient utiles au bonheur de la société ?…

    Ayant repris son souffle, Robespierre poursuivit son discours. Et durant plusieurs heures, il démontra, avec de multiples preuves et références à l'appui, que le paratonnerre, loin d'être un engin « dangereux pour la sûreté publique , comme l'avaient affirmé les échevins de Saint-Omer, protégeait, au contraire, la vie des hommes contre les dangers de la foudre. Ce fait bien établi, il prit l'offensive contre les ennemis de M. de Vissery :

    « Tout le monde savant, dit-il avec enthousiasme, l'a (le paratonnerre) adopté avec transport : toutes les nations éclairées se sont empressées de jouir des avantages qu'il leur offrait ; aucune réclamation n'a troublé ce concert universel de louanges, qui d'un bout à l'autre du monde à l'autre élevait jusqu'aux cieux la gloire de son auteur… « Je me trompe, il y a eu une réclamation …

    « Dans ce siècle, au sein des lumières qui nous environnent, au milieu des hommes que la reconnaissance de la société prodiguait au philosophe à qui elle doit cette sublime invention, on a décidé qu'elle était pernicieuse au genre humain.

    Bien que de style recherché et assez emphatique, la plaidoirie de Robespierre produisit un grand effet. Subjugués par l'accent d'autorité qui émanait de ce petit homme à la sobre élégance et par ses irréfutables arguments, puisés dans le mémoire de Bruissart, le 31 mai, les juges du Conseil d'Artois donnèrent gain de cause à son client : celui-ci pourrait replacer son paratonnerre sur sa maison.

    Dans une lettre adressée à Me Buissart, M. de Vissery marqua sa satisfaction de l'heureuse issue de son procès et son appréciation du talent d'orateur de Robespierre.

    « … nous en partageons la gloire à trois, vous monsieur, pour votre mémoire bien écrit, M. l'orateur pour son plaidoyer éloquent et moi pour le gain d'une cause que je ne pouvais perdre… selon le sentiment des personnes instruites.

    Buissart fit imprimer son mémoire, qui fut mis en vente à Paris. Le 21 juin 1783, le Mercure de France ne manqua pas de signaler à ses lecteurs ce nouvel ouvrage. Au bas de l'article consacré au mémoire de Bruissart et à l'affaire du paratonnerre.

    On put lire ces lignes : « M. de Robespierre, jeune avocat d'un mérite rare, a déployé dans cette cause, qui était la cause des Sciences et des Arts, une éloquence et une sagacité qui donnent la plus haute idées de ses connaissances.

    Au début septembre, grâce à l'aide financière de M. de Vissery, Robespierre put faire imprimer sa plaidoirie, ou plus exactement ses deux plaidoyers, car le jeune avocat artésien avait pris deux fois la parole, au cours du procès du paratonnerre. Cette brochure fut adressé à bien des hommes en vue, tels Benjamin Franklin et l'abbé Bertholon, ainsi qu'à des revues littéraires de Paris.

    A nouveau le Mercure de France consacra quelques lignes à Robespierre, parues dans la rubriques Annonces et Notices : « Ces plaidoyers font le plus grand honneur à M. de Robespierre, à peine sorti de l'adolescence.

    Ainsi, grâce à l'affaire du paratonnerre, Maximilien, avocat provincial, commençait à faire parler de lui en dehors de l'Artois.

    Au cours des années suivantes, Robespierre vit un de ses essais littéraires couronné par l'Académie de Metz, en 1784. L'Académie d'Arras, qui l'avait accueilli en son sein, le 15 novembre 1783, l'élut pour directeur, le 4 février 1786.

    Vers le début 1787, Robespierre fut admis aux Rosati, club arrageois groupant notamment un capitaine du génie en garnison à Arras, un nommé Lazare Carnot, et un certain Joseph Fouché, jeune oratorien, professeur au petit séminaire.

    Enfin le 26 avril 1789, Maximilien fut élu député du Tiers aux Etats-Généraux.

    Il allait entrer dans l'Histoire, mais c'est une autre histoire !

      

      

     

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